Plus qu'aucune autre discipline, l'humour répond en direct aux tumultes de l'actualité. On en a encore eu la preuve ces derniers jours : pour accompagner la colère du mouvement Black Lives Matter, Dave Chappelle a sorti une demi-heure de stand-up tragedy, selon les mots du New York Times. Dans le même temps, Richard Pryor redevenait plus pertinent que jamais, et on réévaluait les comédies ayant usé du blackface. L'air du temps, c'est certainement pour y répondre aussi que Mustapha El Atrassi a choisi d'imposer une femme voilée de soixante ans, sa mère, en première partie de ses spectacles. Et on peut également voir dans le dernier film de Judd Apatow avec Pete Davidson, The King of Staten Island, une tentative du réalisateur de s'intéresser pour une fois à une population moins privilégiée. Enfin, l'époque est cruelle, comme l'humour noir de notre invitée Fanny Ruwet, et anxieuse, comme la dernière BD de Théo Grosjean. L'époque, en somme, est dans HAHA. Bonne lecture !
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Tout le monde ne parle que de ça
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THE KING OF STATEN ISLAND
Durée : 2h16. Sortie : 1er juillet au cinéma.
Cela fait désormais une dizaine d’années que Judd Apatow a adopté une approche récurrente dans ses projets à la télé et au cinéma, en choisissant d’épauler un jeune humoriste en vogue pour le lancer dans la comédie de mœurs, celle qu’il a participé à renouveler tout au long des années 2000. Ce fut le cas avec Lena Dunham (Girls), Kristen Wiig (Mes meilleures amies), Amy Schumer (Trainwreck), Paul Rust (Love), Pete Holmes (Crashing), et désormais avec Pete Davidson, Droopy neurasthénique du Saturday Night Live, avec qui il a co-écrit et qu’il dirige dans ce King of Staten Island, long métrage largement inspiré de la vie de l’humoriste de 26 ans.
Davidson incarne ici Scott, zonard d’une banlieue délaissée de New York qui envisage mollement, à 24 ans, une carrière dans le tatouage, tout en enchaînant les joints avec ses potes tout aussi paumés que lui. Orphelin d’un père pompier mort dans un incendie, habitant avec sa mère, atteint de la maladie de Crohn et de troubles de l’attention : Scott partage de nombreux traits avec Davidson, qui n’a jamais caché ses problèmes de santé et dont le père est mort lors du 11-Septembre. Tout change pour Scott lorsque sa mère, Margie (Marisa Tomei) commence à fréquenter Ray (Bill Burr), pompier lui aussi, et avec qui elle envisage de s’installer.
Il était finalement assez logique qu’Apatow et Davidson se rencontrent : pour actualiser sa comédie de l’immaturité aux années 2020, le réalisateur d’En cloque, mode d’emploi n’aurait pas pu trouver mieux que l’humour désespéré, les yeux cernés et le débit codéiné de Pete Davidson, parfait en échalas irresponsable qui commence à peine à sortir de l’adolescence. Si sa trame principale est un peu trop longue et balisée (comme souvent chez Apatow finalement), The King of Staten Island balance avec dextérité le comique et le tragique, faisant exister chaque second rôle (Pamela Adlon notamment, ou Steve Buscemi) au-delà de leurs quelques minutes d’apparition à l’écran, tout en réussissant sa chronique d’une communauté de laissés-pour-compte dans une banlieue marginalisée.
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Les meilleurs articles sur la comédie parus dernièrement
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Blackface. Le blackface effacé de la comédie : Netflix a décidé la semaine dernière de supprimer un épisode de sa série à sketches With Bob and David (2015) dans lequel un des personnages se maquille en noir. David Cross et Bob Odenkirk, auteurs et acteurs du show, ont rétorqué qu’il s’agissait pourtant de dénoncer l’absurdité d’un personnage atroce, qui dans ce sketch cherche à tout prix à énerver un policier afro-américain hyper courtois. Autres concernés ces derniers jours : trois séries anglaises, dont The Mighty Boosh et Little Britain, retirées de la BBC et de Netflix. Matt Lucas, acteur principal de Little Britain, a réitéré des excuses déjà formulées ces dernières années : «Maintenant, je sais que c'est paresseux pour les Blancs d’essayer de faire rire juste en jouant des personnages noirs.»
Racisme. Dès les années 1970, l’humoriste afro-américain Richard Pryor invente une nouvelle manière de dénoncer les violences policières dont sont victimes les Noirs en racontant ses propres expériences et en les comparant avec celles des Blancs, une influence pour des artistes comme le rappeur Ice Cube ou l’humoriste Dave Chappelle. Un stand-up encore d'actualité, au point qu'un sketch de Pryor soit remonté dans le Top 50 de Spotify ces derniers jours, 46 ans après sa sortie.
Antisystème. Candidat populiste ou nouveau Coluche 1981 ? A lire dans le magazine Society, un portrait de Jean-Marie Bigard érigé en «présidentiable» pour 2022, humoriste populaire devenu en un an porte-parole de certains gilets jaunes et symbole du concept flou de «l’antisystème».
Pédophile. C’est en voyant l’humoriste Chris D’Elia incarner un acteur pédophile dans la saison 2 de la série You sur Netflix que plusieurs femmes ont pris la parole sur les réseaux sociaux : alors qu’elles étaient mineures, elles auraient été contactées par D’Elia et pressées d’envoyer des photos dénudées. Les accusations de harcèlement se multiplient alors que le comédien continue de démentir.
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Notre questionnaire du rire
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FANNY RUWET
En plus de ses chroniques sur France Inter et de son podcast Les Gens qui doutent, l'humoriste belge reprend son spectacle Bon Anniversaire Jean à Bruxelles cet été, et à Paris à la rentrée.
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Ton dernier rire ?
Le faux documentaire Popstar : Never Stop Never Stopping de et avec The Lonely Island. Bien stupide, mais très drôle, très réaliste et avec un casting fou.
Ton premier rire ?
J’ai le souvenir de cette chanson de hamsters qui me faisait beaucoup rire (kids, you know). Je pense que le premier sketch qui m’a marqué, c’est L’Avion de Barbie de Florence Foresti. Et je connaissais la plupart des sketches de L’Autre C’est Moi de Gad Elmaleh. En dehors de ça, la comédie ne m’intéressait pas tellement.
Un rire honteux ?
LES JEUX DE MOTS, pardi. Je sais qu’ils sont mal aimés chez les comedy nerds et souvent ils m’horripilent aussi, mais quand ils sont bien pensés (ou vraiment très très stupides comme dans The Good Place), je trouve ça fort marrant.
Un rire réconfortant ?
The Office, le meilleur ami qu’on peut ne pas avoir vu pendant des mois/années et avec qui rien n’aura changé. Sinon, John Mulaney, efficace et toujours bienvenu.
Un rire triste ?
Ma Sainte-Trinité : Daniel Sloss (Dark et Jigsaw), Hannah Gadsby (Nanette) et Patton Oswalt (Annihilation). Le deuil, le rejet, la remise en question, classic comedy. Beaucoup d’amour aussi pour Neal Brennan (3 Mics).
Une influence du rire ?
Il y en a beaucoup. Daniel Sloss, qui m’a donné envie de faire du stand-up grâce à son mélange entre conférence Ted et blagues. Phoebe-Waller Bridge parce que tout ce qu’elle touche est sincère, brillant & absolu. Bo Burnham qui donne envie de repousser les limites de chaque discipline.
Un rire actuel ?
Peut-être pas le plus représentatif de l’époque, mais je trouve Sacha Béhar et Augustin Shackelpopoulos (DAVA, Fiche de lecture, etc.) incroyables. Ils prennent le pire de notre époque et de nos comportements et poussent ça à son paroxysme.
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Un spectacle à voir en ce moment
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MUSTAPHA EL ATRASSI
Elle
Durée : 57 mn. Diffusé le 12 juin sur YouTube.
Dans la forme, on pourrait presque y voir un remake de Comedian, le documentaire de et sur Jerry Seinfeld, dans lequel il exposait l'incessant travail, soir après soir, de l'humoriste fignolant son numéro. Sauf qu'ici, l'humoriste est une novice de soixante ans passés, mais pas une totale inconnue non plus : Khadija El Azzouzi est la mère de Mustapha El Atrassi, choisie pour assurer sa première partie. Du Point Virgule à une tournée des Zénith en passant par l'Olympia ou New York et le Comedy Cellar (!), on observe ainsi la mère découvrant la profession de son fils et perfectionnant ses dix minutes de spectacle dans lesquels elle parle de sa position de femme musulmane («J'ai 64 ans, je suis voilée et je fais du stand-up. Cheh BFM») ou de son cancer du sein, jusqu'à obtenir des standing ovations. Drôle et touchant.
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L'humour, c'est surtout visuel
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DAVE CHAPPELLE
8:46
Durée : 27 mn. Diffusé le 11 juin sur YouTube.
En grand défenseur de la cause noire tout au long de sa carrière, il était certain que Dave Chappelle allait s'exprimer d'une façon ou d'une autre sur la mort de George Floyd et les violences policières. 8:46, tourné non loin de chez lui dans l'Ohio en plein confinement, est moins un spectacle de stand-up qu'une réaction spontanée, bouillonnante (et un chouïa mégalo) aux injustices exposées frontalement avec cette tragédie.
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Une bande dessinée qu'on vous recommande
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THÉO GROSJEAN
L'Homme le plus flippé du monde
Editions Delcourt. Paru le 17 juin.
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Théo Grosjean est un homme angoissé : une soirée ennuyeuse le questionne sur sa place dans la société, le simple fait de croiser le regard d’un inconnu peut lui faire perdre ses moyens, une douleur à la mâchoire, et c’est la mort qui sonne à sa porte. Adapté d’une série de publications depuis deux ans sur Instagram, L’Homme le plus flippé du monde est une BD-thérapie dans laquelle Théo Grosjean exprime son manque de confiance en soi, se questionne sur sa masculinité et une virilité dont il se sent dépourvu. Dans un monde dans lequel il ne se sent pas à l’aise, il décrit ses crises d’angoisses, mais aussi des moments touchants de son enfance et, au fil des pages, une histoire d’amour naissante qui - inévitablement - le stresse au plus haut point. Cette introspection se fait en douceur, par le trait léger de son dessin et par l’absurdité de son personnage, avatar frêle et naïf aux jambes tremblantes confronté à la folie de situations anodines poussées à l’extrême et dans lesquelles chacun pourra se reconnaître.
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Le meilleur de l'humour en baladodiffusion
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NOVA BOOK BOX
Pierre Senges : « La tarte à la crème est une image de la perfection ».
Le tournage d'une scène de La Bataille du siècle (1927) avec Laurel et Hardy aurait, paraît-il, nécessité pas moins de 4000 tartes à la crème. Stan Laurel déclara néanmoins avoir voulu «faire en sorte que chaque tarte ait un sens». Dans son livre Projectiles au sens propre, l'écrivain Pierre Senges tente, avec humour forcément, de définir les quatre mille sens possibles de ces tartes à la crème, comme il s'en explique dans l'émission littéraire de Radio Nova.
Sorti le 31 mai. Durée : 55 minutes.
LE BILLET DE CHRIS ESQUERRE
Fin de l'humanité.
«Le grand paradoxe, c'est que les gens ont stocké du riz et du papier toilette. Forcément, ils se sont retrouvés dans une impasse.» Après trois mois sans aucune nouvelle, Chris Esquerre reprend sa chronique sur France Inter au bon moment pour nous donner sa version du confinement et sa vision du monde d'après.
Sorti le 11 juin. Durée : 3 mn.
301 VUES
Jérôme Niel #31.
Dans son podcast sur la culture YouTube, Cyprien, accompagné de Pierre Lapin, reçoit Jérôme Niel pour partager leurs expériences de gamers ou se remémorer leurs débuts de YouTubeurs, entre deux mini-jeux tels que «cette vidéo ASMR de vendeur de piscines existe-t-elle ?».
Sorti le 19 juin. Durée : 1h31.
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ET POUR FINIR...
Quand elles sont particulièrement novatrices ou hilarantes, il nous arrive de recommander des œuvres sans qu'elles soient encore visibles (légalement) en France. Parfois, elles mettent plus d'une année à parvenir jusqu'ici : c'est le cas de l'excellente série teen PEN15 (HAHA #38), visible depuis vendredi sur Canal + ou de Joe Pera talks with you (HAHA #26) étrange programme doux et déconcertant, diffusé également depuis vendredi, par Adult Swim. N'hésitez pas à relire nos critiques de l'époque, et, surtout, à aller regarder ces deux séries !
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